L'odyssée des mots
Qu’obtiendrait-on si on croisait une tulipe et un coquelicot ? Une pensée sans doute.
Une pensée des jardins et des esprits.
Une idée audacieuse parce que née de l’improbable.
Une initiative heureuse parce que porteuse de toutes les réconciliations.
C’est peut-être ce que j’ai envie de dire lorsqu’une poétesse confie sa sensibilité à celle d’un peintre. En ces temps de grandes méchancetés où l’absurde s’arroge le droit de nous abrutir, le projet que nous propose Louisa Nadour et Ghouar est la preuve que les bonnes choses fusionnent mieux que les mauvaises, que la poésie lorsqu’elle inspire la toile devient éveil, transcendance, quête sublime de l’Autre et générosité.
S’il existe une porte dérobée qui donne sur le paradis, c’est dans le cœur des artistes qu’il faudrait la chercher.
Quand les mots se diluent dans la sève des pinceaux, toutes les hardiesses sont permises car elles réclament des instants-clefs faits de belle magie.
Peu importe la violence des couleurs, la rudesse du trait, la complexité des codes si le peintre et le poète mettent leur talent au service du partage puisqu’ils ont compris qu’aucun bonheur n’est entier s’il n’est pas partagé.
Entrons dans l’univers de Louisa Nadour et de Ghouar sans crainte.
On n’est pas obligés de saisir l’indicible, mais rien ne nous interdit de rêver.
Yasmina Khadra
Ecrivain algérien
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La couleur de la vie
Du plus ancien des signes, du plus lointain du passé, là où des hommes ont tracé des mots de toute beauté de leurs lettres, surgit la couleur de notre temps.
L’œil se laisse happer par les teintes chaudes, amoureusement posée sur la toile caressée par la main à l’œuvre. La force de la vie emporte le mouvement des traits sans s’imposer : elle va naître dans le regard qui s’interrompt et simplement contemple.
Peinture du silence, peinture qui offre le silence. Avant d’être lue, la calligraphie est admirée pour sa seule beauté. Les mots et leur sens viendront ensuite. Il en est de même ici : la toile met en silence, offre en notre mode un bloc de silence et donne de mieux voir, d’entendre autrement, d’être là, simplement, corps vibrant à la fureur et à la douceur humaines de notre temps.
Les couleurs ne sont pas en opposition mais en appel incessant : l’œil voyage, s’arrête, suit le trait orange puis disparaît avec lui dans le jaune, se retrouve dans le noir enfin surgit dans un gris nouveau. Il se ressaisit, regarde l’ensemble du tableau et découvre ce qu’il n’avait pas encore vu : le mouvement de la toile, ce paradoxe permanent de l’immobile qui est là, ce simple panneau accroché au mur, tissé de couleurs, silencieux, arrêtant le corps qui passe dans son mouvement vers il ne sait quoi.
Là, est donné à voir ce qui était jusqu’à cet instant ignoré : une manière de montrer le monde dans ses déchirements et ses joies. Cadeau précieux pour nos yeux aveugles soudain réveillés par la beauté offerte sur ces simples toiles dont les couleurs affirment la vie, la beauté de la vie.
Gérard Bailhache (mai 2015)
Psychanalyste, philosophe
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Abstraction lyrique
L’œuvre de Ghouar, artiste peintre d’origine algérienne, est à rattacher au mouvement de l’abstraction lyrique. Ce mouvement, identifié dans les années 1950 en Europe, dans les années 1970 aux Etats-Unis, puis en Chine avec Zao Wou Ki et Chu Teh Chun, gagne progressivement l’espace contemporain arabe. Ce décalage temporel de l’émergence d’un style dans des espaces culturels différents s’explique très bien au regard de l’évolution de l’histoire des arts dans les pays concernés. L’avènement d’une abstraction lyrique « actuelle » dans le monde arabe revêt une dimension symbolique particulière, à la fois parce qu’elle correspond à une exploitation nouvelle du mouvement calligraphique, et parce qu’elle répond à - ou traduit - une aspiration profonde des peuples à plus de liberté. En ce sens, la peinture de Ghouar s’inscrit complètement dans cette perspective contemporaine, non conceptuelle, qui imprègne le mouvement de l’abstraction lyrique d’une nouvelle saveur libertaire. Nul doute que l’art contemporain des pays arabes, considéré encore comme émergent par les grandes puissances européenne et américaine, parvienne à reconnaître en l’abstraction lyrique un mouvement artistique de premier ordre auquel il convient d’accorder une reconnaissance légitime.
Renaud Vincent
Galeriste, éditeur
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Tout paradis n’est pas perdu
Nous sommes aujourd’hui réunis autour de sillons de lumière qui relèvent de l’imaginaire pour créer un effet de réel, pour donner une image du monde. Nous nous mobilisons pour que chacune et chacun puissent avoir droit aux tableaux, aux sculptures, au théâtre comme elle ou il a droit à l’alphabet, pour reprendre le joli mot d’André Malraux, en 1966. Nous nous mobilisons pour que se réduise le décalage entre les formes de l’art et leur faible réception de la part de la plus grande partie de la population. Notre raison d’être est de fissurer l’indifférence. La tâche n’est pas aisée, nous le savons, mais nous nous inscrivons dans le droit fil de la recommandation du fondateur de notre mouvement, la ligue de l’enseignement, créée, il y a près de 150 ans, Jean Macé : « Eclairer la base et chauffer les sommets » parce que nous savons que « les marmites commencent toujours à bouillir par le fond, jamais par le couvercle ». Rassemblons ensemble des branches pour le feu sous la marmite car la confiance faite à l’homme doit illuminer nos lendemains. Pour saluer Ghouar, j’emprunterai à André Breton sa conviction : « Tout paradis n’est pas perdu ». Avec Ghouar, la peinture s’affranchit de la figuration pour laisser parler la forme et la couleur. Au moment où les codes-barres règnent pratiquement en maîtres, où les logiciels décortiquent à satiété la moindre parcelle d’activité humaine, où tout se réglemente, où il est de bon ton de banaliser l’insolite, l’inattendu ou l’improbable, il peut paraître quelque peu saugrenu, voire déplacé de regarder un coucher de soleil sans être accompagné par un soi-disant expert. Les yeux-éponge des artistes, à contre-courant, nous invitent heureusement à tutoyer le silence, à gagner des territoires, à discerner ce qu’on ne voit pas mais que l’on ressent au plus profond de soi. A l’image de cet empereur chinois qui exigeait du peintre qu’il efface la cascade qui ornait le mur de son palais parce que le bruit l’empêchait de dormir. Sans nous rendre insomniaques, ils sont des phares, pas nécessairement pour nous éclairer, mais pour nous permettre de nous repérer dans des situations complexes. La parole n’est pas la seule voie pour exprimer ce qu’on a sur le cœur. Ghouar nous permet de peupler nos jardins secrets de paradis terrestres. Il nous ouvre des chemins de traverse pour nous émerveiller devant l’envolée d’une coccinelle qui n’hésite jamais à prendre de la hauteur en nous rendant attentifs à la moindre écharde du ciel ; par tous les temps, il fait palpiter des frémissements d’intelligence en permettant à la lumière de se frayer des chemins pour mieux faire affleurer la transparence du monde. Nous lui souhaitons de poursuivre avec bonheur sa partition en cultivant l’inaccoutumance.
Comme on fait son rêve, écrit Victor Hugo, on fait sa vie.
Gilbert Auzias
Président de la Fédération des Œuvres Laïques de Privas